La carte des homicides à New York
La carte des homicides à New York (New York city homicides map)
http://projects.nytimes.com/crime/homicides/map
Présentation du projet
Comme son nom l’indique, la carte des homicides de New York localise et décrypte tous les meurtres commis dans ville depuis 2003, à l’exception des homicides routiers. Conçue par le service de data journalisme du New York Times, l’un des pionniers en la matière, cette data-visualisation a été mise en ligne en juin 2009 et a bénéficié depuis de mises à jour régulières.
L’équipe à l’origine de ce projet se compose de 8 personnes : Matthew Bloch, Shan Carter, Tyson Evans, Brian Hamman, Andrew W. Lehren, Angelica Medaglia et Jo Craven McGinty.
Brian Hamman, Deputy Editor (l’équivalent de rédacteur en chef adjoint) au service Interactive News, a bien voulu répondre à nos questions. « Le crime est un domaine qui gagne à être étudié avec du recul et dans des tendances générales plutôt qu’à partir d’incidents isolés, explique-t-il. Construire une carte est un excellent moyen pour cela. »
Brian Hamman est également revenu sur le fonctionnement du service data du Times. Comme en France, ce dernier fait appel à des journalistes, des programmeurs, des graphistes et des éditeurs qui travaillent côte-à-côte. Selon leurs compétences, certains peuvent avoir une double casquette, mais quoi qu’il en soit, tous les domaines doivent être couverts.
Ici, seulement trois personnes ont lancé le projet au départ. Deux d’entre elles ont conçu la base de données tandis qu’une troisième se chargeait d’y rentrer les informations concernant les meurtres. L’équipe s’est ensuite progressivement étoffée au fur et à mesure que la production avançait. Au final, la conception de la base de données puis de la carte interactive a nécessité plusieurs mois de travail.
De notre côté, nous avons choisi cette visualisation pour voir si tous les clichés lus et entendus sur New York se rattachent à la réalité. Dans les médias, et même dans la culture populaire – beaucoup de films traitent de ce sujet – New York est présentée comme une immense ville où de nombreux meurtres sont perpétrés chaque jour. Et certains quartiers, à l’image du Bronx ou de Harlem, sont systématiquement montrés du doigt.
La carte
Première interactivité : la timeline des années de données en haut. Le projet regroupe des données à partir de 2003, jusqu’à août 2011. Depuis cette date, il n’y a plus de mise à jour mais les journalistes nous ont confié que la carte serait actualisée en cours d’année.
Un compteur recense le cumul des meurtres à New York depuis 2003. Si l’on ne touche à rien d’autre, au départ on a aussi un graphique qui dénombre les meurtres par année.
Les points bleus que l’on voit sur la carte sont tous les meurtres. Il y a un côté assez graphique et presque poignant de se dire qu’à tous ces endroits, des gens sont morts.
Deuxième interactivité : si on passe la souris sur l’un de ces points, on obtient la description de chaque crime : toujours au moins la date, parfois l’heure, puis l’âge et l’origine ethnique de la ou des victimes et du ou des meurtriers. Il peut aussi arriver que le nom de la victime apparaisse. Mais jamais celui du meurtrier. Enfin, lorsque cela a été élucidé ou communiqué par la police de New York, le mobile du meurtre : gangs, dispute, affaire de drogues, braquage… Puis l’arme du crime : arme à feu, couteau ou « autre »…
Troisième interactivité : des critères que l’on peut sélectionner avec une seconde barre de navigation sur le côté, pour faire une recherche plus ciselée sur les crimes à New-York, où le graphique montrera les résultats en pourcentages. Il y a 10 critères de délimitation des crimes : jour/nuit couplé avec le mois de l’année, puis origine ethnique de la victime, de celui qui a commis le meurtre, le sexe de la victime, du meurtrier, l’âge de la victime, du meurtrier, l’arme utilisée et le quartier (borough) dans lequel le meurtre a été commis.
Dès lors que l’on sélectionne un critère, des codes-couleurs s’affichent pour montrer sur la carte les « points » ou crimes restants. A noter qu’il y a quelques bugs (points blancs alors que l’information est affichée).
Analyse
Au premier abord, le nombre de meurtres semble colossal par rapport à ce qu’on connait en France. Ce sont les Etats-Unis, on sait que les armes à feu y circulent davantage. A New York, le port d’arme est uniquement possible sur permis, et l’Etat de New-York est un des plus restrictifs en la matière. En réalité, par rapport au nombre d’habitants de la ville, le nombre de meurtres reste assez faible.
On peut d’ailleurs voir que ce dernier a considérablement baissé depuis 2003 (597 en 2003, 329 en 2010), pour atteindre un niveau jamais vu depuis les années 60. Pour donner une indication rapide, il y avait près de 2 000 meurtres par an au début des années 90. Cela souligne les efforts considérables de pacification et de sécurisation de la ville effectués par le maire Rudolph Giuliani puis par son successeur Michael Bloomberg, qui a continué cette lutte contre le crime.
Si on regarde l’heure de la journée et le mois de l’année, on constate qu’il y a davantage d’homicides la nuit (ce qui paraît logique, moins repérable) et dans les mois estivaux, ou en tout cas les plus chauds (septembre). Ceci s’explique par le fait qu’il y a davantage de gens dehors, que les gens sortent plus, boivent, qu’il y plus de bagarres et donc plus de possibilités de se faire tuer.
Les origines ethniques des « perpetrators » et des victimes concordent, les statistiques sont similaires. On voit que 60 % des personnes impliquées dans les homicides sont d’origine afro-américaine, et presque 30 % sont latinos. On comprend aisément qu’il y a un lien avec leur lieu de domicile, et qu’il y a des explications sociales à cela.
Au niveau du sexe, il y a 92 % de meurtriers hommes, et 83 % de victimes hommes. Il y a donc plus de victimes femmes que de femmes qui tuent. Pas de surprise là non plus, puisque les affaires de drogue et de gangs, principales causes d’homicides, sont surtout des affaires d’hommes.
La question de l’âge est plus significative. Si la plupart des personnes impliquées sont jeunes (entre 60 et 66 % des victimes-meurtriers), on remarque que les meurtriers tendent à être plus jeunes que les victimes : plus de gens de plus de 55 ans morts, par exemple. Les causes : braquages, vols, drogue…
Pour l’arme, c’est à 69 % l’arme à feu qui est utilisée. Vient ensuite le couteau avec 23 %. On remarque cependant que le couteau est plus utilisé en proportion à Manhattan, notamment dans les quartiers riches.
Avantages et limites de la carte
Le principal point positif, c’est qu’il y a une vraie impression de réalisme en regardant la carte. On y navigue de manière aléatoire, les informations sont là, tout de suite, la compréhension est extrêmement rapide. Ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est que ce sont des milliers de rapports de police qui sont condensés sur cette carte. C’est extrêmement intuitif et très facile d’accès. Il suffit de glisser sur un point pour avoir tout un lot d’informations.
Le New York Times s’appuie sur une base de données large : il obtient ses informations auprès de la police de New York qui met à jour une partie de ses déclarations, souvent quelques jours après le crime ou l’arrestation si elle a lieu. Le New York Times obtient également des mises à jour périodiques de données de la police. De plus, des informations sont fournies par les dossiers des tribunaux et les médecins légistes.
En ce qui concerne les limites du projet, on peut d’abord évoquer une certaine simplicité de la carte. La datavisualisation date de 2009, ce qui signifie qu’on en était aux premiers pas du data journalisme. En effet, comme il a été dit précédemment, la carte est très intuitive, mais elle est également très simpliste. Une fois que l’on a passé quelques minutes sur les points, on tourne vite en rond. Il faut dire que les outils de l’époque étaient bien moins développés qu’à l’heure actuelle.
On note ensuite des doublons sur quelques points. Certains noms de victimes apparaissent deux fois, ce qui peut fausser quelque peu les données.
Enfin, et la principale critique réside peut-être en ce point, on peut se demander si cette datavisualisation ne pousse pas au voyeurisme et à la paranoïa. Comment réagiriez-vous si vous appreniez qu’il y a eu trois personnes qui ont été tuées dans votre rue en moins d’un an ?
Comme il a été expliqué plus haut, les homicides sont classés au moyen de statistiques ethniques. On distingue sans vergogne les Blancs, les Noirs, les Latinos et les Asiatiques. En France, une telle carte serait donc impossible puisque le recensement ethnique est interdit, même s’il a longtemps suscité le débat, et le suscite encore. On peut se poser la question de savoir si ce critère est vraiment utile. Est-ce vital de savoir que c’est un Blanc ou un Noir qui a tué telle personne à telle heure ? Les journalistes du New-York Times arguent que cela permet d’enquêter individuellement sur les quartiers et d’examiner les changements dans les caractéristiques démographiques des victimes et des auteurs de ces meurtres. Par soucis de transparence, ils tiennent à transmettre au lecteur toutes les données en leur possession.
A côté de cette carte est joint un article qui tire quelques conclusions, et notamment un « portrait-robot » du meurtre classique à New York. Un samedi soir de septembre, par un homme noir assez jeune… Cela s’explique par le fait que les buveurs occasionnels et les consommateurs de drogue sont plus susceptibles de sortir en boîte ou dans les rues un samedi soir, plutôt qu’un mardi matin. Mais la conclusion la plus importante que tirent les journalistes du NYT dans leur article est que le taux d’homicide a baissé sensiblement sur les 15 dernières années, comme nous l’avons expliqué.
Conclusion
Nous avons découvert en cette carte une production extrêmement complète, bien que d’apparence simpliste. Une simplicité qui permet toutefois une très bonne compréhension des enjeux et des tendances mises en avant par le projet. Et si la question de l’utilité d’une telle carte nous a effleuré l’esprit dans un premier temps, Brian Hamman nous a assuré qu’il avait reçu des retours positifs et que ce travail avait aidé les lecteurs. Cependant, pour les raisons que nous venons d’évoquer, à savoir les statistiques raciales et la quantité de meurtres, il serait très difficile de produire une visualisation similaire en France, et ce même à Paris.
Clément Chaillou, Julian Colling & Anthony Jolly