La France carcérale
La France carcérale
Une datavisualisation co-produite par Snatch, We Do Data et Owni.fr.
http://owni.fr/2011/12/07/prison-carte-surpopulation-carcerale-france/
Le magazine Snatch souhaitant publier un hors-série entièrement dédié au thème des prisons, la rédaction en chef décide de commander un datavisualisation en partenariat avec Owni et We Do Data. Faute d’annonceurs, le hors-série devient un dossier d’une soixantaine de pages présentées comme “un voyage inédit dans l’univers carcéral” dans le numéro de décembre-janvier 2012 de Snatch.
Présentation
La datavisualisation a été pensée pour Snatch, et donc pour du print. Dans le magazine, elle est présentée comme une “enquête graphique” dans le but de savoir où sont incarcérés les détenus en France et dans quelles conditions.
Owni, parallèlement à Snatch, a développé une version interactive de la carte présente dans le magazine.
La France Carcérale est avant tout une carte exhaustive de toutes les prisons françaises. Elle montre à la fois :
— les différents types d’établissements (maisons d’arrêt, centres pénitentiaires, centres de semi-liberté, centres pour mineurs, centres de détention)
— les tailles des prisons françaises
— le taux d’occupation de certains établissements. Dans la version interactive d’Owni, l’internaute peut cliquer sur toutes les prisons françaises et constater la surpopulation ou non de toutes les prisons.
D’après Karen Bastien, co-fondatrice de We Do Data, les données proviennent du rapport Opale “qui a le mérite d’avoir des données unifiées. Parce que le problème avec la prison, c’est qu’il va y avoir plein de sources — entre les associations qui y bossent, l’administration pénitentiaire, le ministère, etc. — et tout le monde a des données variées. Et ce qui est important en data, c’est quand même d’avoir une source unifiée pour pouvoir faire des comparaisons, notamment dans le temps. Et cet institut universitaire, Opale, en a le mérite : il a une régularité dans le recueil des données. Ces données remontaient jusqu’aux années 60.”
La carte permet de visualiser certains “déserts carcéraux” alors que d’autres régions disposent de beaucoup d’établissements pénitentiaires. Les régions avec une forte densité de prisons sont donc l’Ile-de-France, le Rhône-Alpes, le Sud de la France et le Nord-Est. Les départements avec une faible densité de prisons sont notamment le Cantal, la Lozère, l’Aveyron.
Les raisons de notre choix
En général, les problèmes liés à la prison sont soulevés au moment où les statistiques mensuelles de l’Administration pénitentiaire sont publiées. Par exemple, le 1er mars 2012, les prisons françaises atteignent un taux d’occupation record : 116,13 %.
Pour Vincent Desailly, rédacteur en chef de Snatch, la datavisualisation permet de “compléter les deux points forts de Snatch : reportage de terrain et interviews en long format (…) pour bien intégrer les tenants et les aboutissants des informations sur la prison et pour une meilleure grille de lecture”. “Je ne pense pas que le datajournalisme soit suffisant pour développer un sujet à fond. Et c’est la même chose pour les interviews qui se concentrent plus sur le côté humain. Marier ces deux formes de journalisme ont permis d’approfondir le sujet de manière idéale” explique Vincent Desailly.
Plus que le sujet lui-même, c’est cette démarche qui nous a paru pertinente. Car La France Carcérale est une production multi-supports. Produire une datavisualisation pour un support papier nous semblait intéressant tant le datajournalisme est aujourd’hui associé au média Internet. Nous nous sommes demandé si le datajournalisme pouvait être une solution à la crise de la presse papier ? Pas sûr, puisque les rédactions devraient mobiliser des journalistes sur des productions au long court.
Pour Pierre Alonso, le journaliste d’Owni qui a contribué à ce partenariat, “la publication sur le web et en version papier est une bonne piste à creuser pour les journalistes.”
“Une infographie, c’est comme un article, il faut tenir son angle. On ne pouvait pas ne pas présenter toutes les prisons sur la carte, c’était LA carte des prisons françaises. C’est assez frustrant parce qu’on avait peut-être trop d’infos à mettre. Peut-être qu’on aurait dû être plus trash dans notre angle et ne pas faire la carte des prisons en France mais la carte des prisons surpeuplées en France. Mais on savait qu’il y avait la Google Map d’Owni qui allait venir derrière” poursuit Karen Bastien, co-fondatrice de We Do Data.
Critiques
Le premier problème est que l’Outre-Mer est difficilement accessible sur la version web. La carte est centrée sur la métropole alors que des prisons ultra-marines sont parmi les plus surpeuplées. Une note avertit toutefois l’internaute : “Dans la carte ci-dessus, cliquez sur les pictos pour connaître le nombre de places et le nombre de détenus dans la prison. N’oubliez pas l’Outre-Mer, loin de la métropole…”
Autre bémol : il faut cliquer à chaque fois sur une prison pour voir son taux d’occupation. Sur la version web, on ne peut pas voir tout de suite quelle prison est la plus surchargée en France. Sur ce point, la version statique de Snatch a été mieux pensée.
Karen Bastien se justifie : “Là, l’idée venait de Snatch, donc on a d’abord pensé le papier. La double-page, c’est des infos qu’il faut agencer telles un puzzle harmonieux de façon à ce que le lecteur voit une info principale et puis ensuite autour on dispose tout un tas d’infos qu’ils iront ou pas lire. Les lecteurs de print sont assez passif, leur attention est de quelques secondes, ils peuvent tourner la page très vite. Donc il faut que l’info principale éclate à la tête. Et puis le reste, il y aura des petits spots (comme les établissements pénitentiaires les plus et les moins peuplés) pour les gens qui vont s’intéresser au thème et qui vont vouloir rentrés dans une deuxième couche d’infos.”
Conclusion
Une surabondance d’informations et de données peut entraver la visibilité d’une datavisualisation interactive ou d’une infographie. Et en datajournalisme comme dans les autres formats journalistiques, il s’agit d’angler une production.
Pensée pour plusieurs supports, cette datavisualisation permet d’avoir un regard exhaustif sur les prisons françaises. Pour le web, difficile de développer une version interactive satisfaisante quand l’imprimé a été réfléchi en premier lieu. Pour la presse papier, par contre, le datajournalisme est une innovation bienvenue dans un contexte économique morose, une façon de se diversifier et de se démarquer de ses concurrents.
L’intégralité de ce qui a été publié dans Snatch est disponible sur Owni sur Internet, avec les articles de Pierre Alonso et les visuels de We Do Data : L’Etat du prisonnier français, Les geôles oubliées de la République et de Drôles de prisons.